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Jacques MUGLIONI,
Professeur de Philosophie,
Doyen de l'Inspection Générale de Philosophie

L'école ou le loisir de penser
, p. 78-79
Centre Nationale de Documentation Pédagogique, Paris, 1993

 

Les vandales

Bientôt il n'y aura plus de professeurs. On le sait et l'on feint à peine de s'en émouvoir. Peut-être soupçonne-t-on que la société des machines n'a pas besoin d'écoles. Car s'il s'agit d'apprendre des techniques, il suffit que les techniciens consacrent quelques heures aux enfants pour leur communiquer un savoir-faire. On y a déjà pensé. Comme le forgeron forme son apprenti, l'ingénieur dispensera à ses élèves les connaissances strictement nécessaires à l'exercice de son métier. Après tout il est légitime d'utiliser les compétences et d'économiser un temps précieux par le choix des notions utilisables et des méthodes efficaces. On entend dire partout que les enfants perdent leur temps à apprendre de belles choses qui ne leur seront d'aucun usage et qu'à la fin de leurs études livresques ils se trouvent démunis devant les tâches sérieuses du métier. La culture classique appartient à un autre âge. Elle occupait les loisirs d'une aristocratie de la naissance et de la fortune. Qu'elle disparaisse donc avec les derniers privilèges ! Les plus libéraux veulent bien la faire garder au musée par des conservateurs débiles. Mais qu'elle n'entrave pas la marche du progrès, comme on dit.

Il faut plutôt avouer que les amis de la démocratie rejoignent ici les pires réactionnaires dans le culte de l'efficacité technique, religion nouvelle dont les dieux n'ont pas besoin d'âme pour susciter l'adoration. Or le latin et le grec font connaître d'autres dieux et d'autres hommes. Ils nous apprennent à ne point trop adorer, car ils nous font voir des passions communes, des guerres qui ne sont plus les nôtres, des temples qui ne sont plus consacrés. On craint cette expérience millénaire, c'est-à-dire ce scepticisme. Mais les " humanités " préparent aussi à l'admiration, parce qu'elles montrent les œuvres qui ont vaincu le temps, les pensées qui ont tenu plus sûrement que les colonnes de marbre. Les dieux meurent et l'esprit est éternel.

Une civilisation n'est pas un système de moyens, c'est un ensemble de valeurs. Elle se justifie non par sa puissance, mais par sa culture. Elle se perpétue par l'école où les hommes grandissent ensemble avant d'être séparés par les métiers. Car les métiers séparent les hommes, quoi qu'on ait dit, tandis que la culture les réunit. L'école est donc la seule chance qui leur reste de se comprendre et d'aimer l'œuvre commune. Elle doit être défendue contre la mode et l'impatience des réformateurs. S'il s'agit de l'agrandir pour donner son plein sens au mot d'Université, afin que nul n'en soit exclu injustement, travaillons pour la réforme. Mais d'abord défendons l'école contre " les humeurs brouillonnes et inquiètes " qui ne songent qu'à la détruire en l'asservissant aux intérêts bornés d'une civilisation mécanique. L'école est faite pour que les hommes n'oublient pas l'humanité et apprennent ainsi le prix de la paix.

18 avril 1958

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