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"Soirées Philo" à Sèvres et à Ville d'Avray


Programme 2003 - 2004

03 février 2004, à 20h45 à Ville d'Avray:
Sénèque
, un extrait de La brièveté de la vie :

Texte de référence :

SEULS LES SAGES POSSÈDENT L’ART DE VIVRE


XIV.
« (1) Seuls entre tous sont gens de loisir ceux qui consacrent leur temps à la sagesse : seuls ils vivent. Et non seulement ils protègent leur propre vie; mais à leur siècle ils ajoutent tous les siècles. Toutes les années qui se sont écoulées avant eux leur sont acquises. Ne soyons pas ingrats; c'est pour nous que sont nés les créateurs célèbres des saintes doctrines; ils ont préparé notre vie; c'est par le travail d'autrui que nous sommes conduits jusqu aux réalités les plus belles qu'ils ont fait passer des ténèbres à la lumière ; aucun siècle ne nous est interdit; nous avons accès à tous; et si, en agrandissant notre âme, nous pouvons sortir des limites étroites imposées à la faiblesse humaine, nous disposons d'une vaste durée à travers laquelle nous étendre.

(2) Nous pouvons discuter avec Socrate, douter avec Carnéade, vivre en repos avec Epicure, vaincre la nature humaine avec les Stoïciens, la dépasser avec les Cyniques; puisque, par la nature des choses, nous pouvons pareillement accéder à la communauté qui dure à travers les siècles, pourquoi, hors de notre durée passagère si courte et si fragile, ne pas nous donner de toute notre âme à ces pensées infinies, éternelles et que nous avons en commun avec les meilleurs des hommes?

(3) Ceux que leurs charges font aller et venir, qui ne laissent en repos ni eux-mêmes ni les autres, perdant la tête à se rendre chaque jour d'un seuil à l'autre sans négliger une porte ouverte, et sans oublier d'apporter dans les maisons les plus éloignées un salut qui leur rapporte, combien de gens auront-ils vus dans cette ville immense et agitée de tant de passions?

(4) Combien y en aura-t-il dont le sommeil, la débauche ou l'impolitesse les écartent? Combien, après les avoir fait attendre longtemps, passent rapidement devant eux en faisant semblant d'être pressés? Combien éviteront de traverser l'atrium rempli de clients et s'enfuiront par des issues dérobées, comme s'il n'était pas plus impoli de tromper les gens que de les laisser à la porte ! Combien, à moitié endormis et alourdis par la débauche de la veille, devant ces malheureux qui ont interrompu leur propre sommeil pour attendre le réveil d'un autre, ne répondront à leur nom, mille fois susurré par des lèvres à peine entr'ouvertes, que par un bâillement dédaigneux !

(5) Nous pouvons dire que ceux-là s'attachent à leurs véritables devoirs, qui ont la volonté de fréquenter familièrement chaque jour Zénon, Pythagore, Démocrite, et les autres grands prêtres de la morale, Aristote et Théophraste. Aucun d'entre eux qui ne soit visible, qui ne renvoie son visiteur plus heureux et plus attaché à lui, qui le laisse s'en aller les mains vides. La nuit comme le jour, tout le monde peut les joindre.

XV.
(1) Nul d'entre eux ne te contraindra à mourir, mais tous t'enseigneront comment on meurt; ils n'épuiseront pas tes années, mais ils ajouteront les leurs aux tiennes; leur entretien ne sera pas dangereux pour toi, leur amitié ne mettra pas ta tête en péril, leur estime ne sera pas chèrement achetée. Tu prendras d'eux tout ce que tu voudras; et il ne dépendra pas d'eux que tu n'y puises autant que tu le désires.

(2) Quel bonheur, quelle belle vieillesse pour celui qui s'est placé dans leur clientèle ! Il aura avec qui discuter de toutes choses, petites et grandes, qui consulter chaque jour à son propre sujet, auprès de qui chercher la vérité sans l'insulte, la louange la flatterie, enfin qui prendre pour modèle.

(3) Nous avons coutume de dire que nous n'avons pas choisi nos parents et qu'ils nous ont été donnés par le sort; mais voici que nous pouvons nous donner la naissance que voulons. Les grands esprits constituent de véritables familles; choisis celle où tu veux être admis; cette adoption te donnera non seulement leur nom, mais leurs biens eux-mêmes. Ces biens ne doivent pas être gardés avec une jalousie mesquine; ils augmenteront d'autant qu'ils seront partagés entre plus de personnes.

(4) Ces grands hommes te conduiront à l'éternité, ils t'élèveront en un lieu d'où personne ne te chassera; c'est la seule manière de prolonger ton état mortel, et même de le changer en immortalité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'envie de primer a fait ordonner par décret, les ouvrages qu'elle a fait construire, tout cela s écroule rapidement; il n'est rien que la durée ne détruise à la longue, rien qu'elle n'ébranle; mais contre ce que la sagesse a consacré, elle ne peut rien; le temps y perd son pouvoir de destruction et de dégradation; chaque moment, l'un suivant l'autre à l'infini, apportera une nouvelle raison de la vénérer. Car c’est à ce qui est voisin que s’adresse l’envie ; ce qui est placé loin de nous, nous l’admirons sans arrière-pensée.

(5) La vie du sage s’étend donc au large ; elle n’est pas enfermée dans les mêmes limites que celle des autres hommes; seul il est affranchi des lois du genre humain. Tous les siècles sont à son service comme à celui de Dieu. S’agit-il du temps passé ? Il le perçoit par le souvenir. Du présent ? Il l’emploie. Du futur ? Il le saisit d’avance. Ce qui lui fait une longue vie, c’est la réunion de tous les temps en un seul.

XVI. (1) Ce qui fait la vie brève et tourmentée, c’est l’oubli du passé, la négligence du présent, la crainte de l’avenir ; arrivé à l’extrémité de leur existence, les malheureux comprennent trop tard qu’ils se sont, tout ce temps, affairés à ne rien faire. »

Les Stoïciens,
Sénèque
, De la brièveté de la vie
Textes traduits par Émile Bréhier,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1962, p. 712-714

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