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Yiorgos Theotokas
1905 - 1966

Promenade en Europe


Yiorgos Theotokas
Né à Istambul (Constantinople) en 1905, il est mort à Athènes en 1966. Il a étudié le Droit, et a voyagé intensivement. Il a fait parti du cercle d’artistes de la « génération des années trente », un cercle moderniste influencé par le cubisme, le surréalisme, le vers libre. Il a écrit des romans, des essais et des pièces de théâtre. Il fut Directeur du Théâtre National.

L’Europe est comme un jardin qui rassemble les fleures les plus différentes, les couleurs les plus disparates. Chaque fois qu’on traverse la frontière d’un pays européen, on sent que tout change tout autour, pas seulement la langue et les conventions sociales, mais aussi l’air qu’on respire, la substance de la terre sur laquelle on marche, le caractère des gens qu’on rencontre. Dans chaque pays européen on sent dès le début une expression particulière, unique et inimitable, une physionomie particulière, vivante et animée, création de la nature, des siècles, du génie d’un peuple.
[…]
 

L’Europe est un complexe qui consiste à des contradictions infinies. D’humeurs différentes et souvent opposées naissent au Nord et au Midi, à l’Ouest et à l’Est. Les Latins, les Anglo-Saxons, les peuples Germaniques, les Slaves, manifestent des différentes manières de sentir et de penser. On n’écoute pas la même musique au bord du Danube, de la Seine, de la Tamise. Chaque note du concert européen est une dissonance, et chaque dissonance contient des nouvelles dissonances. Aux îles Britanniques c’est l’Irlande qui fait fausse note, au milieu des peuples germaniques c’est l’Autriche. En France, le Sud dément le Nord, aux Balkans, qui étaient pendant des siècles une région avec une civilisation uniforme, c’est la Grèce qui fait aujourd’hui* fausse note, qui jette dans la mer d’un seul coup toutes ses traditions Balkaniques et Byzantines et recherche une nouvelle voie.

Quand on se balade aux sentiers et aux allées du jardin européen, on observe de près les différences et les contrastes et on peut les analyser en détail. Mais il nous manque le sens de l’ensemble. Il faut, après un examen analytique des différences, de risquer faire, au-dessus du jardin, un tour en avion. Je crois beaucoup à l’utilité de la critique aérienne […], c’est l’œil de l’aviateur qui conçoit le panorama.

L’Europe, seulement si on la voit d’en haut, montre toute sa splendeur. […] Les dissonances locales s’unissent en un accord supérieur qui – survenant si haut - ne peut pas être saisi par l’oreille du randonneur. Les contradictions infinies se fondent en une synthèse supérieure. […]


Au-dessous des différences locales des peuples européens, il existe une vie spirituelle et morale commune, une formation commune européenne. Si on pouvait définir exactement le contenu de ce mot on pourrait dire qu’il existe des idéaux communs. Un idéal est, plus ou moins, quelque chose de concret tandis que ce qui constitue la formation européenne ne peut pas être divisé en des valeurs concrètes. Il s’agit d’un niveau supérieur où aboutissent et s’harmonisent entre elles, tous les efforts spirituels des peuples européens, qui jaillissent toujours, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, d’une attitude commune. On voit les peuples européens rechercher en eux des vérités pas nationales, mais universelles, pas provisoires, mais éternelles avec une admirable intensité de leurs forces qui dura pendant des siècles, et continue de durer sans relâche. Chacun d’eux a l’ambition, et c’est son ambition la plus grande, de dépasser sa physionomie particulière, son raffinement particulier, sa vie particulière et de découvrir en lui, l’Homme. […] Parfois le vent souffle d’un côté, parfois de l’autre. Tantôt c’est l’Italie qui est en tête, tantôt c’est la France, tantôt c’est l’Allemagne, l’Angleterre, les Slaves. Le peuple qui ouvre la voie, travaille pour l’ensemble, et l’ensemble assimile vite, parfois au moment même, les nouveaux gains. Chaque peuple serait incapable de cultiver à lui seul, les territoires qu’il conquiert. C’est l’ensemble qui les cultive et c’est seulement l’ensemble qui peut épuiser leurs richesses. Il y a des fois que les peuples avancent ensemble, alignés, dans la même direction. C’est d’une pareille jonction de leurs efforts qu’en a résulté la Renaissance, la plus grande heure de l’humanité après l’heure d’Athènes.

Yiorgos Theotokas (1905-1966),
L’esprit libre, 1929,
Traduction, Emilios Politis

*Le texte a été écrit en 1929