DIALOGUE


Thèmes et textes
Forums de discussion

NOUVEAUTES




Réalisations multimédia Porte-documents
Informations et projets
Europe Education Ecole

BIBLIOTHEQUE




Textes en ligne, Livres à lire
Dictionnaire du club
Galerie de portraits
Sélection de liens

LE CLUB PHILO

Qui sommes-nous ?
club.philo@free.fr
Retour au ditionnaire
V A L E U R
André Comte-Sponville,
Valeur et vérité, Etudes cyniques
Paris, Presses Universitaires de France, 1994, In-8, 281 pp.

Notes de lecture, par Bernard Point, août 2005


Introduction.
Qu’est-ce qu’une valeur, sinon un concept que l’on croit vrai ?
André Comte-Sponville opère au contraire une distinction entre les concepts de valeur et de vérité, et l’on verra que pour lui une valeur ne peut pas être dite vraie. Il nous faudra donc regarder quel est le champ d’application de la vérité, quelles en sont ses limites, et déterminer la notion de valeur, pour conclure sur la notion de scepticisme. Pour situer les thèses qui vont suivre il est bon de rappeler qu’André Comte-Sponville est un matérialiste. C’est aussi un réaliste, profondément humaniste. Il est rationaliste. C’est un athée qui se dit sceptique.

I. Le concept Vérité
La vérité, dit-il, s’applique d’abord au réel. Que je sois en ce moment assis sur une chaise, avec un bouquet de glaïeuls en face de moi, cela fait partie du réel. Et ce réel est vrai. Il est vrai que je sois assis. Il est vrai qu’il y ait ce bouquet. Ceci est vrai maintenant. Et il sera toujours vrai que cela fut. Même si plus personne ne s’en souvient. Ou même si plus personne n’est plus là. Cette description du réel est vraie et le sera de toute éternité.
Comme il est vrai que la Bastille a été prise un 14 juillet. Que le fait soit présent ou passé, il est ou fut à la fois réel et vrai. La vérité s’applique donc aussi bien au passé qu’au présent. Elle s’applique au réel et donc aussi aux faits des hommes. Pour l’auteur, la vérité s’applique à tous les faits qui se sont produits. Qu’ils s’agissent de faits physiques (la formation de la Terre, par exemple), des végétaux, des animaux ou des humains. L’énonciation d’une valeur par un homme est un fait, qu’il soit oral ou écrit. À ce fait, on pourra donc rattacher une vérité (ou une fausseté). Elle s’applique à l’énonciation vue comme un fait, mais pas au contenu.

Cette conception de la vérité reste encore une conception classique, en dehors de son aspect restrictif limitant la vérité au réel et aux faits. Cette restriction est en cohérence avec une pensée matérialiste et rationaliste. Pour le matérialiste, on part de la matière, donc du réel. Ce dernier est donc vrai de façon indéniable.

II. Le concept Valeur
André Comte-Sponville part du réel. Il refuse toute transcendance. Il n’y a pas plus de Dieu qu’il n’y a d’absolu. D’où son athéisme. Il s’agit-là d’une option philosophique. D’autres philosophes ont pris d’autres options. Platon pense, au contraire, à un monde plus absolu que le monde réel, le monde des Idées. C’est aussi l’option des philosophes chrétiens qui croient en Dieu et donc en un absolu. Inversement, à l’instar d’André Comte-Sponville, d’autres philosophes sont matérialistes et athées, comme Epicure, Lucrèce, Marx, Sartre...

Son option est donc de refuser toute transcendance et de partir du réel. Et l’homme fait partie de ce réel. L’homme réel. Pas un homme idéal. Ni un homme façonné, tourné vers un idéal.

L’homme selon André Comte-Sponville est multiple, divers. Et ce qui vaut pour cet homme varie selon les époques, les civilisations, les pays, les couches sociales, et selon les individus. Cette diversité, cette multiplicité, que l’on retrouve dans la diversité philosophique, entraîne vers le relativisme des valeurs. Les valeurs de Justice, de Paix, d’Amour ne sont pas suivies par tous les hommes. Et ces valeurs ne peuvent pas se mesurer à l’aune d’un absolu.

Faisons l’analogie habituelle du haut et du bas. Dans le cas de pensée s’appuyant sur des absolus, ce sont des pensées qui descendent de l’absolu vers l’homme, et que l’homme tente de remonter! Dans une pensée vidée d’absolus, la pensée s’élève, toute seule, du sol vers le haut. Sans absolu, il n’y a plus de vrai. Comment mesurer une longueur si l’on ne s’accorde pas sur l’unité de mesure ?

Une valeur n’est pas universelle, puisqu’elle n’est pas adoptée par tous les hommes. Et que parfois, certains hommes se battent pour deux positions opposées. La valeur n’est pas objective. Elle ne peut donc pas être vraie. Et comme elle n’est pas vraie elle ne doit pas s’appliquer à tous. André Comte-Sponville nomme alors dogmatisme toute pensée qui prend la valeur pour une vérité. Mais relativisme ne veut pas dire nihilisme. Relativité des valeurs n’implique pas que rien ne vaut.

Une valeur ne s’impose pas d’elle-même. Comme elle ne dérive pas d’un absolu, elle n’a rien d’intrinsèque qui la rend vraie, et qui la rend vrai aux yeux de tous. Mais doit-on la supprimer pour autant ? Une valeur est quelque chose, un concept en lequel je crois et que j’aime. On passe de l’universel à l’individuel. C’est bien dommage que ce en quoi je crois, ne soit pas absolu. Mais dois-je m’arrêter de croire pour autant ? Est-il possible de vivre sans croyance ? Sans projets ? Non. Il s’agit d’une étape philosophique, qui n’est pas sans difficulté. Mais de même que l’enfant réalise un jour que ses parents ne sont pas des Dieux infaillibles et tout puissants, il faut aussi accepter que ses valeurs ne sont pas infaillibles et absolues. L’enfant apprend alors la vraie vie. Il nous faut vivre dans cette vie sans absolus.

Et l’humanité en ressort grandit. C’est l’homme qui est à l’origine des valeurs. Ce sont ses valeurs, et non des règles imposées. Il sait que ce ne sont que ses croyances, mais ce sont ses croyances. Une valeur relative, non absolue, est donc une valeur beaucoup plus fragile qu’une valeur absolue. Mais c’est sa valeur, son projet. Une valeur doit être défendue. Comme il n’y a pas de transcendance pour la défendre, le seul qui peut défendre une valeur est l’homme lui-même. C’est à nous de défendre ce que nous croyons. Il n’y a pas de Dieu qui le fera pour nous. Ni de vérité éclatante qui va tout arranger. Si nous ne défendons pas nos valeurs, elles s’écrouleront….C’est la mort, de mes idées, de moi-même, de mes croyances, si je ne lutte pas pour elles. Ce doit être notre projet.

Il n’y a pas de nihilisme induit par le relativisme, il y a surtout un volontarisme. Une place faite toute entière pour l’homme. Le relativisme est un humanisme.

III. Le scepticisme d’André Comte-Sponville
André Comte-Sponville est rationaliste. Il croit fermement en la raison, et en ses résultats. Mais quels sont les fondements de la raison ? Le fonctionnement de la Raison repose sur des axiomes. La rationalité est le fait de croire aux mécanismes de déduction, mécanismes de déduction qui reposent sur des axiomes. Mais quels sont les fondements de ces axiomes ? Et quel est donc le fondement de la Rationalité ? Il y a une croyance en la Raison pour les rationalistes. On ne peut pas être absolument sûr de la Raison. Il y a donc une partie Valeur en la Raison de la part des rationalistes. Là encore, il n’y a pas d’absolu. Mais la recherche de la vérité est un objectif.

La vérité existe. Mais la connaissance que j’en ai est incertaine. Je ne peux pas avoir de certitudes. Mais ce n’est pas pour cela que je dois abandonner. La Vérité n’est pas donnée, on n’est jamais sûr de l’avoir atteinte, mais la recherche de vérité est une exigence. Il faut toujours remettre le travail sur l’ouvrage (dans le domaine de la connaissance).

Ce n’est pas un doute systématique fondateur, comme celui de Descartes, qui après avoir douté de tout, fonde le certain et le vrai. Descartes se base ensuite sur le cogito, c’est-à-dire sur ce qui a résisté au doute, puis en déduit le Vrai, Dieu…Au contraire, pour André Comte-Sponvile, il n’y a pas de résidu au doute systématique. Mais là encore, cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien de vrai. Seulement qu’il n’y a rien de certain. Puisque tout repose sur la Raison, et que la raison est elle même non fondée. Ce n’est pas que je ne doive croire à rien.

C’est que je crois à des valeurs, à des pensées qui ne sont pas absolument certaines. Le dogmatique préfère la certitude à la vérité, le sceptique préfère la vérité à la certitude.

Le sceptique, au sens d’André Comte-Sponville, est certain de l’existence de rationalité et de vérité, mais il n’est pas certain que la connaissance qu’il a est vraie. Dans ce sens, André Comte-Sponville s’oppose à Pyrrhon pour qui la vérité n’existe pas.

Examinons désormais plus précisément le champ scientifique. La science opère plus par induction que par déductions. Or l’induction est encore plus incertaine. Que personne n’ait vu jusqu’à aujourd’hui de corbeaux blancs, ne prouve pas que personne n’en verra pas un jour, et donc qu’il n’y en ait pas, ni qu’il n’y en ait jamais eu. L’induction est toujours limitée sur le plan expérimental : des faits sont observés, mais pas tous les faits. Par ailleurs, même si tous les faits étaient observés, les faits à venir ne sont pas encore observés. Que la loi de gravitation universelle ait toujours été observée (par l’homme), ne signifie pas que cette loi soit toujours vraie partout (contrairement à son nom « d’universalité »), et le sera toujours. Mais si ce doute doit rendre vigilant (de la bonne compréhension des sciences), André Comte-Sponville ne le présente pas comme paralysant. Il s’agit d’une limite épistémologique. Incertitude, et non nihilisme : absence de vrai. La science opère donc par corrections, par ratures. Des modèles scientifiques sont utilisés. Ces modèles sont validés par des résultats expérimentaux. Mais ils restent des modèles et non des vérités, et non des certitudes. D’où l’histoire des sciences, qui n’est pas purement cumulative. Et l’on voit bien que ce n’est pas l’avenir qui nous donnera la clef. C’est le principe même de l’induction qui est en cause.

Conclusions
La notion de vérité s’applique au réel donc à un domaine beaucoup plus limité qu’habituellement, puisqu’il exclut les valeurs qui sont humaines donc non absolues et non vraies. Cette position dérive d’un matérialisme-athéisme de son auteur. La valeur n’est plus transcendante, ni absolue, mais elle est humaine. Et c’est nous, humains, qui devons les défendre. Leur survie ne dépend que de nous ! La responsabilité que nous avons vis à vis de nos valeurs est donc entière et est un engagement que nous nous devons d’assumer.

Pour conclure citons André Comte-Sponville : « Il faut en conséquence renoncer au rêve des dogmatiques (la grande paix du savoir), et laisser la philosophie en son lieu, qui est l’examen des raisons et le conflit – sans issues ni preuves – des croyances. Philosopher c’est penser sans preuves, c'est-à-dire (puisqu’il n’est pas de preuves absolues) penser. » Valeur et Vérité, chap. 4, p. 122

Interrogations personnelles

André Comte-Sponville est rationaliste. Quel est le rapport entre la Raison et un système de valeurs ? Ce n’est pas la raison qui fonde la valeur, mais quel est l’apport de la Raison ?

André Comte-Sponville rejette le dualisme. Mais est-il moniste ? Sans doute pas à la Spinoza.

Quelle est la conception de hasard et de prédestination chez André Comte-Sponville? Est-elle celle de Spinoza ? André Comte-Sponville rejette le libre arbitre. Quelle est alors la notion de liberté chez André Comte-Sponville? Et le lien avec la responsabilité?

Bernard Point
Le 05 août 2005

Le Club de Philosophie a reçu André Comte-Sponville au SEL
le 08 février 2004, à 20h45
, pour une conférence-débat sur le sujet :
"La mondialisation et civilisations : quelles valeurs pour le XXIe siècle?"


Autres publications d'André Comte-Sponville