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L'IMAGE

Définition proposée par
François DAGOGNET,
Professeur Émérite de Philosophie,
Université de Paris I - Sorbonne

" Le mot d'image renvoie à de nombreuses réalisations, depuis le reflet de la chose dans le miroir jusqu'au portrait (qu'il soit du peintre ou du photographe) ou au croquis, qui nous livre au moins la trame, ou encore à la formule développée qui nous suggère l'architecture d'une substance. Bref, dans tous les cas,nous obtenons un équivalent, un décalque.

Une telle opération n'a pas manqué d'attirer des réticences : nous devons préférer le réel lui-même et nous méfier des " simulacres " (le double a toujours inquiété). Et puis n'oublions pas que l'image du triangle, celle que nous dessinons, nous voile son essence et nous plonge dans le sensible (la facticité augmentée). De même le cube, s'il se pense, ne saurait être représenté ou figuré avec ses six faces égales ; tout au plus, pouvons-nous le suggérer. Sartre généralisa la critique : l'image, selon lui, ne nous apprend rien ; elle frappe par son indétermination (combien de colonnes au Panthéon ? À consulter notre représentation, nous ne le saurons pas). L'image reçoit mais ne donne rien en retour (l'absence, le vaque).

Nous suivrons le chemin inverse, accordant du prix à l'iconographie. D'abord, elle délivre " l'être ", quel qu'il soit, de son volume, de sa lourdeur, de ses inutilités, pour ne retenir que les lignes principales - une scission avantageuse. De plus, le croquis livre la chose dans la simultanéité de tous ses éléments : à l'opposé, celui qui décrit - par la parole ou par l'écriture - n'échappe pas à la lente successivité ; il ne peut pas inclure la fin dans le commencement, alors que la graphie donne tout d'un coup, ce qui aide à la compréhension.

Nous sommes sensibles à ce que soutenaient les théoriciens de la photographie, à la fin du XIXe siècle (y compris Bertillon, le chef du service de la photographie judiciaire): la photographie d'identité produit sans doute le plus ressemblant, mais ce qu'on obtient ne se compare pas à la silhouette, aux quelques coups de crayon, voire à la caricature de l'artiste. L'image ne vaut qu'allégée, lorsqu'elle nous offre l'essentiel. Par la suite, nous irons plus loin : l'image numérique remplace le surfacial iconique par une codification à base de chiffres, ceux-ci susceptibles de nous restituer ce qui vient d'être saisi, enregistré,mais surtout capables de permettre toutes les variations ou modifications que nous pouvons souhaiter.

L'excès de similitude perd l'image et justifie les critiques : elle n'existe vraiment que lorsqu'elle interprète ce qu'elle nous offre ou lorsqu'elle dévoile l'inaccessible (telle la radiographie qui dépasse le rideau phénoménal pour atteindre ce qui se tapit au plus profond). Une image, affirmait Valéry, est toujours plus que la chose dont elle est l'image. La critique des philosophes contre l'image (le reflet, voire le leurre) vient de ce qu'ils l'ont trop conçue de façon chosiste ou qu'ils l'ont examinée sous le seul angle du copiage, de la fidélité.

Le vivant se borne à déployer ou à développer une structure minimale, celle des 2n chromosomes. Ce système nucléaire nous fournit un modèle (naturel) d'une correspondance performante, sans qu'il y ait similitude, à cette différence près qu'ici l'image s'offre en premier: l'être qui en résulte l'agrandit et la réalise (un film, une sorte de montage cinématographique)."

François DAGOGNET
100 mots pour commencer à philosopher,
Les empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, Paris, pp. 134 -136

À lire :
François Dagognet, La Philosophie de l'image, Vrin, Paris 1984.


François DAGOGNET,
Paris, le 29 janvier 2003 :


"Pourquoi, philosophe, ai-je pu être attiré par les problèmes de l'image ?
Plusieurs raisons m'y ont conduit.

1. D'abord, dans les sciences expérimentales, on y a recours. N'est-il pas vrai que toute réalité, tout domaine de celle-ci peut s'écrire sur une simple feuille de papier ou le tableau (un espace minimum pour le schéma, le diagramme , le graphe - et à travers eux, l'ensemble des pierres, des corps simple, des végétaux, des animaux).

Non seulement l'innombrable vient sans difficulté prendre place dans cet espace réduit, mais, de plus, il y a davantage dans cette fermeture que dans le réel même. Nous en savons plus à consulter la carte qu'à parcourila contrée et à l'explorer. Comment ce paradoxe et-il possible: un plus qui se loge dans le moins ?

C'est pourquoi l'image peut se prévaloir de potentialités pédagogiques : elle condense, résumé, elle parvient à tout rassembler. Dans ces conditions, nous discernons déjà des liens avec les proches. Nous entrons dans la lumière des inter-relations.

2. Une querelle théologique nous a également retenu - le conflit entre les iconodules et les iconoclastes. N'est-il pas sacrilège de se " représenter " Dieu ? et comment y parvenir ? Déjà le Christ soulève la difficulté : il faut lui reconnaître une double nature, alors que l'image n'en pourra livrer qu'une seule. En outre, même en ce qui concerne " l'humain ", les uns veulent le Christ radieux (sa divinité sous-jacente) ; d'autres le voient proche des exclus et des misérables (les traces compassionnelles).

Les peintres ont résolu la difficulté par des ruses. Ils peignent Jésus enfant ou au loin, perdu dans la foule (un peu d'indétermination en résulte). Toutefois, la Crucifixion n'a pas permis cette esquive.

3. L'esthétique nous a retenu, parce que, pour nous, elle s'emploie sans trêve à renouveler l'image. Le cubisme, par exemple, proteste contre la seule finalité qui a été retenue. Il entend y ajouter ce que l'on verrait d'en haut et d'en bas, de tous les côtés, voire obliquement - le multiple (l'image de la multi-perspective, à tel point que nous ne reconnaissons pas l'objet).

D'autres artistes ont fendu, lacéré la toile en plein milieu, afin que nous ne soyons pas orienté par l'écran qui nous ferme l'espace. On commence à deviner un peu l'arrière ; on échappe à la bidimensionnelle.

Le futurisme, de son côté, cherche à insérer le mouvement (tel le Nu descendant un escalier). Il sort l'image de son immobilité, de son inertie.


Déjà, à l'âge classique, l'image soulevait des problèmes.
1. On enseignait les manières d'introduire la "3e dimension" sur un plan.
2. Comment aussi bien peindre les passions ?
3. Comment, par quelques coups de pinceau, laisser croire qu'on saisit toutes les feuilles de l'arbre ou même tous les cheveux d'une abondante chevelure ?

Mais, pour nous, ce qui nous retient le plus, c'est cet exploit : à la place d'un viscère comme le cœur ou le cerveaux, - au lieu de les décrire ou de les dessiner - je préfère "l'électrocardiogramme" par exemple. L'image électrique, une succession de pics et d'ondes, une linéarité in égalisée, mais " l'image technique " nous informe plus sur le réel que le percevoir. Cette image nous ouvre à la substance même de la chose "


François DAGOGNET
Professeur Émérite de Philosophie,
Université de Paris I - Sorbonne

Autres publications de François Dagognet sur notre site :
L'Etat - La responsabilité civile - Georges Canguilhem - La philosophie - La photographie -