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Retour à Hegel

Bernard Bourgeois
Professeur Émerite de Philosophie à l'Université de Paris I - Sorbonne, Membre de l'Institut

Hegel, Éditions Ellipses, Paris 1998

Autres extraits :
Le savoir absolu
- Les meneurs d'âmes dans l'histoire - Liberté


La culture
"Le peuple grec, surtout, a commencé par devenir ce qu'il fut. Les éléments nationaux à partir desquels il s'est développé sont aussi bien originellement grossiers et étrangers les uns aux autres, et il est difficile de déterminer ce qui a été originellement grec et ce qui ne l'a pas été. Cet être-étranger-à-soi de la nationalité grecque à l'intérieur d'elle-même est ce qui s'offre d'abord à nous, et il en constitue un moment capital; car l'esprit grec, en sa liberté et beauté, ne peut naître que de la victoire remportée sur un tel être-étranger-à-soi. C'est pourquoi la première victoire remportée sur l'être-étranger-à-soi constitue aussi la première période de la culture grecque.

Il faut prendre conscience de ce principe de l'être-étranger-à-soi. Le préjugé courant s'imagine qu'une vie belle, libre, heureuse, naît du développement simple d'un lien familial d'amitié sous-jacent, d'une lignée déjà originellement unie par la nature. Seule la sottise peut croire que la beauté naîtrait du lien du sang se développant en lui-même. La plante nous fournit l'image immédiate d'un calme déploiement; mais elle a besoin du développement contrasté de la lumière, de l'air, de l'eau, etc. Au principe du préjugé dont il vient d'être question, se trouve la représentation superficielle d'un être naturellement bon de l'homme, représentation que l'on doit abandonner si l'on veut considérer le développement spirituel. L'esprit qui veut devenir libre doit préalablement avoir vaincu; dans les débuts, il y a un conflit avec soi, le combat avec la nature élémentaire. L'opposition vraie que l'esprit peut assumer est spirituelle ; c'est son être-étranger-à-soi dans lui-même qui, seul, lui fournit la force d'être en tant qu'esprit."

Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte
(Leçons sur la philosophie de l'histoire universelle],
éd. Lasson, II-IV, rééd. 1968, Hambourg, F. Meiner, p, 534 sq., traduction originale,

Commentaire

Pour Hegel, le miracle de l'esprit a resplendi avec le surgissement du peuple grec, qui libère l'histoire de la nature. Celle-ci est régie par l'extériorité réciproque - d'abord spatiale - de ses éléments, que le temps, qui les engloutit pourtant sans cesse, n'arrive pas à faire se synthétiser dans un véritable tout. La cime de la nature, l'individu vivant, capable d'évoluer en lui-même, reste cependant prisonnier de son identité foncière à soi génératrice d'exclusion, même s'il a besoin de l'Autre, du milieu extérieur, pour subsister. Quant à l'esprit, qui, comme tel, est histoire, arrachement à la réitération naturelle, il nie d'abord la nature sur un mode encore naturel. En sa première grande période, orientale, l'histoire mondiale développe, de l'Extrême-Orient à l'Asie mineure, une vie éthique toujours empreinte de naturalité, qui fait de la nation une grande famille fermée sur elle-même. Toutefois, le naturalisme éthico-culturel ne saurait justifier la fixation à soi d'un peuple au nom de la pureté du sang. Car l'histoire s'affirme comme histoire en Grèce, patrie de tout esprit pressentant que son essence est la libération universalisante du particularisme naturel. Alors, au modèle familial est substitué un modèle social de la vie en commun: la société est, en effet, la coexistence d'individus et groupes originellement différents les uns des autres, étrangers les uns aux autres. Or la culture, en sa visée normative idéale, ne peut naître, selon Hegel, que du mélange des cultures prises en leur simple être factuel: elle n'est qu'à accueillir l'étranger. L'histoire, si différente de la pure évolution naturelle, se révolutionne dans et par l'arrachement des hommes, qui s'y incitent réciproquement, à leur être naturel. L'esprit n'est pas, il se fait dans une telle auto-négation de l'être naturel. Il ne gagne son identité à lui-même qu'en se faisant en lui-même étranger à lui-même et en triomphant de cette aliénation intestine dans une réconciliation alors pleinement sienne.

Bernard Bourgeois,
Hegel
, Éditions Ellipses, 1998, pp.36-37


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