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Bernard Bourgeois
Professeur Émerite de Philosophie à l'Université de Paris I - Sorbonne, Membre de l'Institut

Hegel, Éditions Ellipses, Paris 1998

Autres extraits : Le savoir absolu - L'esprit, la culture et l'étranger - Liberté


Les meneures d'âmes dans l'histoire

« Ce sont les individus relevant de l'histoire mondiale qui ont, les premiers, dit aux hommes ce que veulent ceux-ci. Savoir ce que l'on veut, c'est difficile; on peut en fait vouloir quelque chose tout en restant pris dans le point de vue négatif, tout en n'étant pas satisfait; la conscience de ce qu'il y a d'affirmatif peut très bien faire défaut. Au contraire, les individus qu'on vient d'évoquer surent aussi que cela même qu'ils voulaient était ce qu'il y avait d'affirmatif. C'est eux-mêmes que ces individus satisfont tout d'abord; ils n'agissent pas du tout pour donner satisfaction à d'autres. S'ils avaient eu un tel vouloir, ils auraient eu beaucoup à faire; car les autres ne savent pas ce que veut [leur] temps, pas ce qu'eux-mêmes veulent. Mais résister à de tels individus qui appartiennent à l'histoire mondiale, c'est une entreprise marquée d'impuissance. Ils sont poussés de façon irrésistible à accomplir leur oeuvre. C'est cela qui est bien, et les autres, même s'ils n'ont pas eu l'idée que c'est cela même qu'ils voulaient, y sont attachés, ils le font leur; il y a là en eux une puissance qui dispose d'eux-mêmes, quoiqu'elle leur apparaisse comme une puissance étrangère et extérieure et qu'elle aille à l'encontre de la conscience de ce qu'ils croient être leur volonté. Car l'esprit qui s'est avancé plus loin est l'âme intérieure de tous les individus, mais l'intériorité inconsciente, dont les grands hommes leur font prendre conscience. C'est bien cela qu'eux-mêmes veulent vraiment et qui, par conséquent, exerce sur eux une puissance à laquelle ils se rendent, même en contredisant leur vouloir conscient; c'est pourquoi ils suivent ces meneurs d'âmes, car ils sentent la puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur qui vient au devant d'eux.
Die Vernunft in der Geschichte [La raison dans l'histoire].
VG, éd. Hoffmeister, Hambourg, F. Meiner, 1955, p. 99, traduction originale.

Commentaire :

Si les grands hommes de l'histoire universelle (Alexandre, César, Napoléon...) réalisent par leur énergie. passionnée les desseins de l'esprit ou de la raison à l'oeuvre dans le monde -le tout substantiel ne peut agir que moyennant le vouloir d'un sujet singulier -, c'est qu'ils savent ce qu'exige, à travers sa contradiction interne désormais insupportable, ce monde, en son fond, rationnel. S'ils sont, en un sens, des instruments de la raison mondaine, la « ruse» de celle-ci ne peut user d'eux qu'autant qu'ils sont aussi plus que de simples instruments inconscients de ses fins. Certes, ils sont des «hommes pratiques », non pas des philosophes, et leur conscience de telles fins est, d'une part, directement intéressée - ils satisfont leur intérêt propre, leur ambition personnelle, en l'identifiant au contenu universel du but mondain -, d'autre part, limitée à la traduction objective immédiate -le sens politique prochain - de ce contenu qui, en sa pleine vérité, constitue un moment de la réalisation globale de l'esprit. Mais ils savent ce qu'ils veulent, et ils le veulent comme quelque chose d'absolument positif ou affirmatif, qu'ils font de la sorte totalement leur. C'est ce qui les rend maîtres des autres hommes.

Car ils expriment et révèlent l'esprit même qui agit dans l'âme des autres hommes, non seulement sans la conscience, mais même contre la conscience explicite et déclarée de ceux-ci. L'homme peut vouloir - par son libre arbitre, formel- ce qui n'est pas vraiment réellement voulu en lui par l'esprit dont il se nourrit: le vouloir vrai est la libre assomption subjective de l'exigence substantielle exprimant sa volonté en soi. Un tel vouloir substantiel ne se donne sa conscience subjective que lentement dans l'histoire. Les grands hommes devancent alors leurs contemporains, mais ils les influencent parce qu'ils veulent la même chose qu'eux. Tant il est vrai que l'homme, en tant qu'être libre, ne peut être déterminé que par lui-même. C'est toujours leur liberté qui vient à la rencontre des hommes sous l'aspect de la nécessité.

Bernard Bourgeois,
Hegel
, Éditions Ellipses, 1998, pp.42-43


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