DIALOGUE


Thèmes et textes
Forums de discussion

NOUVEAUTES




Réalisations multimédia Porte-documents
Informations et projets
Europe Education Ecole

BIBLIOTHEQUE




Textes en ligne, Livres à lire
Dictionnaire du club
Galerie de portraits
Sélection de liens

LE CLUB PHILO

Qui sommes-nous ?
club.philo@free.fr

Retour à Montaigne

Pierre Magnard,
Professeur de Philosophie à la Sorbonne,


Le vocabulaire de Montaigne

Éditions Ellipses, Paris, 2002

Un extrait : pp. 17-19


Expérience




* Une notion appelée à avoir un grand destin, en cette fin du 16°siècle, est celle d’expérience, que ce soit chez François Bacon ou bientôt chez Galilée. Montaigne va en faire un large usage, lui consacrant l’essai III, 13, qui termine et conclut l’ouvrage. Ne vient-elle pas en écho à celle d’ »essai », si elle désigne l’action par laquelle on fait l’essai de quelque chose ? L’expérience, c’est le fait d’éprouver quelque chose, considéré comme un élargissement du savoir. Une fois sont cités les « empiriques » (II, 37, p.771) pour désigner une école médicale dépassée par d’infinies mutations jusqu’à celles « que produisent de notre temps Paracelse et Fioravanti » (id., p.772). En effet, « la médecine se forme par exemple et expérience » (id., p. 764) qui nous affranchissent de tant de fatales opinions, lesquelles ont rendu Montaigne plus que réservé à l’endroit des médecins (III, 13, p.1079).

** C’est que, dit-il, l’expérience « fait aussi mon opinion » (ibid.). Encore faut-il s’entendre : ceux qui s’en prévalent comme d’une autorité font fausse route : « Le fruit de l’expérience d’un chirurgien n’est pas l’histoire de ses pratiques et se souvenir qu’il a guéri quatre empestés et trois goutteux, s’il ne sait de cet usage former son jugement et ne nous sait faire sentir qu’il en soit devenu plus sage à l’usage de son art » (III, 8, p.931). Voilà son plus sûr profit. Quant à savoir si elle peut toucher nos incertitudes, il est certain qu’elle vient plutôt nous délivrer de l’emprise de la raison, que nous avons voulu, en cannibales que nous sommes, ériger en « contrerolleuse générale de tout ce qui est au dehors et au dedans de la voûte céleste » (II,12, p.541). Et Montaigne de dénoncer l’univocité de la raison à l’homme et à Dieu : "si la raison humaine connaît quelque chose, au moins sera-ce son être et son domicile ; elle est en l’âme, et partie en effet d’icelle ; car la vraie raison et essentielle, de qui nous dérobons le nom à fausses enseignes, elle loge dans le sein de Dieu, c’est là son gîte et sa retraite, c’est de là où elle part quand il plaît à Dieu nous en faire voir quelque rayon » (ibid.). Parfaite conséquence de la reconnaissance à Dieu d’une puissance absolue !


***On comprend alors l’ultime leçon des Essais : « Quand la raison nous faut, nous y employons l’expérience, qui est un moyen plus faible et moins digne, mais la vérité est chose si grande, que nous ne devons dédaigner aucune entremise qui nous y conduise » (III, 13, p.1065). L’expérience n’a-t-elle pas autant de formes que la raison ? C’est elle qui permet de confesser « l’humaine ignorance, qui est le plus sûr parti de l’école du monde » (id., p.1075). Les médecins, à leurs dépens, l’ont trop souvent méconnue : « l’expérience est proprement sur son fumier au sujet de la médecine, où la raison lui quitte toute la place » (id., p.1079). Que l’art médical n’a-t-il « toujours l’expérience pour touche de son opération » (ibid) ! Montaigne ne saurait-il recourir qu’à elle dans le soin de sa santé et l’aménagement de son repos : pour nous convaincre de la faiblesse de celle-ci « il n’est besoin d’aller tirer de rares exemples », quand «tous sujets également, et la nature en général désavouent sa juridiction et entremise » (II, 12, p.449).

Pierre Magnard,
Le vocabulaire de Montaigne, Éditions Ellipses 2002, pp. 17-19


Autres extraits :


Conscience - Interprétation - Moi - Usage