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Pierre Magnard,
Professeur Émérite de Philosophie à la Sorbonne,


Le vocabulaire de Montaigne

Éditions Ellipses, Paris, 2002

Un extrait : pp. 55-57

Usage


* Usage, usance, user, usure… 397 occurrences d’un mot aussi expédient qu’il est discret, ne perdant rien de sa vigueur à être si souvent employé. L’usage ne renforce-t-il pas tout ce qu’il met en œuvre ? Il n’est d’autre loi aux choses domestiques et politiques : « La forme de vivre plus usitée et commune est la plus belle ; toute particularité m’y semble à éviter, et haïrais autant un allemand qui mit de l’eau au vin qu’un français qui le boirait pur. L’usage public donne loi à telles choses » (III, 13, p. 1104). Le trait est déjà relevé dans le Journal de voyage, dont l’auteur pose en règle, qui ne saurait être transgressé, de se soumettre toujours et partout aux us et coutumes des pays traversés. La comparaison serait mal venue d’en juger : « Selon mon humeur, à affaires publiques, il n’est aucun ni mauvais train, pourvu qu’il ait de l’âge et de la constance, qui ne vaille mieux que le changement et le remuement. Nos mœurs sont extrêmement corrompues et penchent d’une merveilleuse inclination vers l’empirement ; de nos lois et usances, il y en a plusieurs barbares et monstrueuses ; toutefois, par la difficulté de nous mettre en état et le danger de ce croulement, si je pouvais planter une cheville à notre roue et l’arrêter, je le ferais de bon cœur » (II, 17, p. 655). La leçon du voyage est moins la relativité des usages que cette étrange autorité qu’ils ne doivent, en fait, qu’à eux-mêmes.


** Quel meilleur « préservatif » que « l’usage » pour se défaire de « cette dangereuse peste qui se répand tous les jours en nos cœurs » (II, 12, p. 559) ! Montaigne fait allusion à la réforme, ajoutant : « En quoi, il vous siera mieux de vous resserrer dans le train accoutumé, quel qu’il soit, que de jeter votre vol à cette licence effrénée » (ibid.). Étrange critère de vérité, diraient les « nouveaux docteurs » ! La question n’est pas là, car dans l’impossibilité d’y voir clair, mieux vaut suivre le cours des choses. N’est-ce pas l’usage qui fait la force de la loi, qui n’est au demeurant qu’une coutume invétérée ? Si « chaque usage a sa raison », c’est parce qu’il n’est de raison que dans la conformité à ce qui se fait et s’est toujours fait (III, 9, p. 985). Les sages et les doctes voudraient nous en écarter : « À quoi faire, leur répond Montaigne, ces pointes élevées de la philosophie sur lesquelles aucun être humain ne se peut rasseoir et ces règles qui excèdent notre usage et notre force ? « (id., p. 989). Quant au commerce des hommes, « il faut se démettre au train de ceux avec qui vous êtes et parfois affecter l’ignorance. Mettez à part la force et la subtilité : en l’usage commun, c’est assez d’y réserver l’ordre » (III, 3, p. 822).


*** L’habitude est seconde nature. De nature, Montaigne consent à payer les «bien rudes usures », quand il renonce à « trancher la vie dans le vif et dans le sein », comme le feraient les « chirurgiens » (II, 37, p. 759). L’usage n’apporte-t-il pas parfois la résolution ? «Il y a bien plus de constance à user la chaîne qui nous tient qu’à la rompre et plus d’épreuve et de fermeté en Regulus qu’en Caton » (II, 3, p. 352). C’est parfois « vigueur et courage » que de soumettre à « l’usage de la vie ordinaire de violentes occupations et laborieuses pensées », ainsi quand on voit « César et Alexandre, au plus épais de leur grande besogne, jouir si pleinement des plaisirs naturels et par conséquent nécessaires et justes » (III, 13, p. 1108). Nous ne saurions avoir « autre patron et règle de perfection que (nos) propres mœurs et usances » (I, 49, p. 296). La relativité de nos coutumes ne saurait nous empêcher de nous y tenir et si « l’usage nous dérobe le vrai visage des choses » (I, 23, p. 116), c’est sans doute parce que nous n’avons pas à nous y conformer pour agir.



Pierre Magnard,

Le vocabulaire de Montaigne
,
Éditions Ellipses 2002, pp.


Autres extraits :


Conscience - Expérience - Interprétation - Moi